C’est un président désormais “fortifié” qui va “viser la jugulaire” avec de nouvelles procédures judiciaires contre ses adversaires politiques, titre le quotidien économique sud-africain Business Day. Menacé de destitution après un scandale politico-financier, Cyril Ramaphosa a lancé lundi 5 décembre une contre-attaque, et réussi un joli coup politique, ses “pistolets fumants” toujours en main, pour rester dans la métaphore guerrière.

Le politicien roué a ainsi obtenu le soutien de l’African National Congress (ANC), son parti, majoritaire au Parlement, qui a annoncé qu’il ne voterait pas pour le lancement d’une éventuelle procédure d’“impeachment”. Un vote préalable devait se tenir mardi, mais sans les voix de l’ANC il n’a aucune chance d’aboutir. Ramaphosa a également saisi la Cour constitutionnelle en arguant que le rapport du panel indépendant qui l’accable était “illégal et devait être écarté”, explique le site d’informations News24.

“Cela signifie que le président continue d’exercer ses fonctions de président de l’ANC et de la République”, a déclaré Paul Mashatile, trésorier général de l’ANC, lors d’une conférence de presse après la réunion. “Nous n’empêchons pas le président de rendre des comptes”, a-t-il toutefois indiqué. “D’autres procédures sont en cours.”

La promesse d’en finir avec la corruption de son prédécesseur

Le président n’est donc “pas encore tiré d’affaire”, juge le New York Times. Il doit encore répondre à “plusieurs autres enquêtes, notamment par le comité d’intégrité de l’ANC, le parquet national et le protecteur public, chien de garde de la corruption”. Quant à sa tentative de remporter un second mandat à la présidence de l’ANC lors des élections qui se tiendront à la fin du mois, elle n’est désormais “guère sûre”, ajoute le quotidien.

La situation de Ramaphosa contraste en tout cas avec ses difficultés de la semaine dernière, lorsqu’il semblait acculé à la démission après la publication le 30 novembre du rapport dit “Phala Phala” – du nom de son ranch de gibier précieux. Selon les deux juges à la retraite et l’avocat qui ont rédigé ce rapport, Ramaphosa aurait possiblement “violé la Constitution” en se rendant coupable d’évasion fiscale, de ne pas avoir informé la police d’un cambriolage qui l’embarrassait et d’avoir abusé des ressources de l’État en ordonnant à un garde du corps présidentiel de retrouver les voleurs.

C’est par eux que le scandale arriva en février 2020 : ils auraient mis la main sur au moins 4 millions de dollars en liquide camouflés sous les coussins d’un canapé du ranch Phala Phala – mais son propriétaire assure lui qu’il n’y avait pas plus de 560 000 dollars. Deux ans plus tard, un opposant politique avait porté l’affaire devant les tribunaux, obligeant le président à se justifier. Que faisait cet argent à cet endroit ? Et pourquoi ces devises n’avaient-elles pas été déclarées ? Ramaphosa, qui, comme le rappelle l’analyste politique Hlengiwe Ndlovu sur la chaîne EWN, a été élu sur la “promesse d’en finir avec la corruption de son prédécesseur”, devra répondre à ces questions tôt ou tard. Mais il a pour l’instant évité de le faire devant le Parlement.

L’ANC sur “la voie de la décadence”

Les institutions du pays sont quoi qu’il en soit fragilisées par ce scandale. “La perspective de semaines de luttes intestines, au moins jusqu’à ce que l’ANC nomme un dirigeant pour encore cinq ans, infligera de nouveaux dégâts à l’économie en déclin de l’Afrique du Sud”, analyse le correspondant Afrique du Guardian.

La popularité historique de l’ANC a été mise à mal par “la montée en flèche du chômage, des crimes violents, les coupures de courant à l’échelle nationale et les allégations de corruption endémique”, constate en outre le quotidien anglais. Ces dernières années, le parti a perdu une partie de sa popularité dans les zones urbaines, et sa majorité ne tient plus qu’au “soutien des zones rurales les plus pauvres, où sa politique clientéliste fonctionne le mieux”.

“Le brouhaha autour de [l’affaire] Phala Phala confirme le caractère amoral et décadent de l’ANC, où ceux qui tentent de dissuader Cyril Ramaphosa de démissionner ne s’inquiètent que de l’effet que cela aura sur leur réélection à de hautes fonctions”, tacle le chroniqueur Raymond Suttner, du site d’investigation Daily Maverick. Dans un article sans appel, ce professeur émérite à l’université d’Afrique du Sud estime que “l’ANC est allé trop loin sur la voie de la décadence et de la criminalité pour retrouver une bonne santé”.

Il faudra selon lui qu’“un éventail d’autres secteurs déterminés à sauver notre ordre constitutionnel s’unissent pour tracer la voie de la défense de notre démocratie durement acquise”.