A moins de trois semaines de l’élection présidentielle, les files d’attente, qui s’étiraient déjà depuis plusieurs mois devant les stations-service, s’allongent désormais aussi devant les distributeurs de billets au Nigeria. Depuis que la Banque centrale (Central Bank of Nigeria, CBN) a décrété fin octobre 2022 le remplacement de la totalité des nairas en circulation par de nouvelles coupures d’ici au 31 janvier, les liquidités manquent dans le pays le plus peuplé d’Afrique.
La mesure, qui fait actuellement l’objet de nombreux recours en justice, devait permettre de maîtriser l’inflation, de mettre un frein au blanchiment et de limiter les achats de vote. Mais sa mise en œuvre s’est avérée extrêmement chaotique.
Alors que les commerçants ont commencé dès janvier à refuser les vieux billets, certaines banques continuaient d’en distribuer à leurs clients, faute d’alternative. Assaillie de critiques, la Banque centrale a annoncé le 29 janvier une extension de la date limite de validité des anciennes coupures au 10 février. Sauf que beaucoup de Nigérians ont déjà ramené leurs nairas en banque et que les nouveaux billets restent quasi introuvables.
Dans les « points de vente » (« Point of Sale », POS), les points de retrait par terminal bancaire qui représentent une alternative aux banques traditionnelles pour une majorité de Nigérians, il faut payer des commissions exorbitantes pour retirer les nouveaux nairas, au prétexte que les opérateurs paient eux-mêmes « très cher » pour obtenir ces billets.
Saturation des applications bancaires
Les banques, prises d’assaut dès l’aube, n’ouvrent plus leurs grilles qu’au compte-goutte pour éviter les débordements. Certaines conseillent même à leurs employés de ne plus venir travailler en uniforme, afin d’éviter de se faire malmener dans la rue. Les retraits dans les distributeurs officiels sont de toute façon sévèrement plafonnés, parfois à seulement 2 000 nairas par personne.
Faute de cash, les Nigérians se sont tournés massivement vers les applications bancaires, ce qui a rapidement provoqué une saturation du réseau. Il est devenu difficile de transférer des fonds ou de payer par carte dans le pays, y compris dans les grandes villes. Désormais, les habitants des zones frontalières du Niger, du Bénin et du Cameroun privilégient l’utilisation des francs CFA. L’absence de distributeurs dans les régions les plus reculées du pays accroît encore la difficulté à se procurer des nouveaux billets, alors que près de 40 % de la population nigériane n’a tout simplement pas accès au système bancaire.
Après une rencontre avec les gouverneurs, vendredi 3 février, le président Muhammadu Buhari s’est engagé à trouver une solution à la pénurie dans les sept jours. Un délai insoutenable pour la population déjà étouffée par l’inflation et la chute du naira. Au même moment, des protestations ont éclaté dans les Etats d’Oyo, Delta, Osun et Lagos au sud du Nigeria, où des distributeurs ont été vandalisés. A Ibadan, étudiants et forces de sécurité se sont affrontés à proximité de l’université locale. De nouvelles manifestations ont eu lieu mardi 7 février dans le sud-ouest du Nigeria, à Abeokuta, la capitale de l’Etat d’Ogun et Akure, la capitale de l’Etat d’Ondo.
Accusations de vouloir perturber les élections
La colère est d’autant plus forte que le pays fait déjà face depuis le mois de novembre à une pénurie de carburant dont les causes restent floues. La Compagnie pétrolière nationale du Nigeria (NNPC) a expliqué, dans un premier temps, que les camions avaient du mal à circuler, à cause des ravages causés par les inondations historiques qui ont touché le pays durant la saison des pluies. Mais les intempéries ont cessé et l’essence manque toujours.
La NNPC comme la Banque centrale et son puissant gouverneur ont été accusés de vouloir perturber les élections. Bien qu’il soit issu de la majorité sortante, Bola Tinubu, le candidat du Congrès des progressistes (APC) a été le premier à s’en émouvoir. « Ils ne veulent pas que les élections aient lieu, mais nous ne l’accepterons pas », a-t-il déclaré lors d’un meeting dans la ville d’Abeokuta, fin janvier.
Quelques jours plus tard, le gouverneur de l’Etat de Kaduna – également membre de la majorité – a suggéré publiquement que « des éléments » au sein même du palais présidentiel travaillaient contre la candidature de Bola Tinubu. Ce dernier n’a pas hésité à critiquer en personne le président sortant dans ses discours. Peut-être une manière de prendre subtilement ses distances vis-à-vis d’un bilan plus que mitigé sur le plan économique et sécuritaire.
Promesses de solutions
Dans le courant du week-end, l’opposition officielle a publié un communiqué accusant au contraire Bola Tinubu d’avoir « orchestré la collecte de nouveaux billets pour servir ses plans égoïstes ». Le Parti démocratique populaire – qui laisse entendre que l’APC a décidé de renouveler les billets de banque à la veille de la présidentielle pour mieux les dérober – s’est dit « dégoûté par l’hypocrisie affichée par le candidat de l’APC qui, malgré son rôle supposé dans cette pénurie de liquidités, lance des accusations et cherche à utiliser cette situation (…) pour perturber les élections générales ».
Des accusations que le gouverneur de la Banque centrale, Godwin Emefiele, a tenté de dissiper mardi 7 février, lors d’une rencontre avec le président de la commission électorale. Ce dernier a effectivement relevé que « des situations d’urgence pendant les élections peuvent nécessiter un paiement en cash immédiat, puisque certains fournisseurs de services essentiels [tel que le transport] ne sont pas bancarisés ». En retour, le patron de la CBN s’est engagé à ce que l’argent nécessaire aux opérations de la commission électorale soit disponible immédiatement.
De la même manière, « une solution » logistique semble avoir été trouvée en concertation avec la Compagnie pétrolière nationale du Nigeria pour faire face à la pénurie d’essence durant la période électorale. « Soyez donc assurés que l’élection aura lieu comme prévu le 25 février pour l’élection présidentielle et le 11 mars pour l’élection des gouverneurs », a promis mercredi 8 février le président de la commission électorale.
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