Tunisie : discours jugé raciste, répression… 5 minutes pour comprendre une dérive autoritaire

La politique anti-immigration menée par le président tunisien Kaïs Saïed a conduit au rapatriement en urgence de plusieurs dizaines de migrants d’Afrique subsaharienne. L’opposition, elle, est empêchée de manifester.

Kaïs Saïed est seul aux commandes en Tunisie. AFP/Anis Mili
Kaïs Saïed est seul aux commandes en Tunisie. AFP/Anis Mili

    Il est le seul décisionnaire au pouvoir en Tunisie. Kaïs Saïed, président de la République depuis le 23 octobre 2019, gouverne seul son pays depuis qu’il a mené son « coup d’État » à l’été 2021. Il annonçait à l’époque geler les activités du Parlement et démettre de ses fonctions le chef du gouvernement.

    Depuis, il a multiplié les passages en force, faisant notamment voter une nouvelle constitution à l’été 2022 (seuls 30,5 % des 9,3 millions d’inscrits s’étaient déplacés aux urnes). Une disposition qui venait « sceller dans le marbre sa façon de gouverner et son appropriation de tous les pouvoirs », nous expliquait alors Vincent Geisser, chercheur au CNRS. Ces derniers jours, ce sont ses prises de position à l’encontre des migrants d’Afrique subsaharienne qui révoltent et inquiètent, dans un contexte social rendu difficile par des pénuries et une crise économique. Le Parisien fait le point sur la situation.

    Que s’est-il passé ?

    C’est un discours sur la politique migratoire de Kaïs Saïed qui a fait monter l’inquiétude il y a un peu plus de 10 jours. Le 21 février, le dirigeant a en effet réclamé des « mesures urgentes » contre l’immigration clandestine d’Africains subsahariens dans son pays, affirmant que leur présence était source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables ».

    Il a également insisté sur « la nécessité de mettre rapidement fin » à cette immigration, soutenant le fait qu’elle relevait d’une « entreprise criminelle ourdie à l’orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie », afin de la transformer en un pays « africain seulement » et estomper son caractère « arabo-musulman ».

    Quelle est la situation migratoire dans le pays ?

    Selon des chiffres officiels cités par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, la Tunisie (FTDES) compte 12 millions d’habitants et plus de 21 000 Africains subsahariens, en majorité en situation irrégulière. La plupart d’entre eux rejoignent la Tunisie pour ensuite tenter d’immigrer clandestinement vers les pays d’Europe, notamment en empruntant la mer en direction de l’île italienne de Lampedusa. Les migrants sont originaires du Sierra Leone, de Guinée Conakry, du Cameroun, du Tchad, du Gabon ou encore du Soudan.

    Quelles conséquences sur place ?

    Condamnée par des ONG comme « raciste et haineuse », cette prise de parole a provoqué un tollé et semé un vent de panique chez les migrants subsahariens en Tunisie. Depuis, ils font état d’une recrudescence des agressions les visant. Un grand nombre d’entre eux ont perdu du jour au lendemain leur travail et leur logement. D’autres encore ont été arrêtés lors de contrôles policiers.

    « On m’a jeté hors de mon logement il y a deux semaines, on a frappé mes amies. Ici nous souffrons beaucoup, on dort à même le sol, on ne peut pas se laver », a raconté Natasha, jeune femme de 27 ans originaire du Sierra Leone, à l’AFP. Face à ces violences, des centaines de migrants se sont inscrits dans leurs ambassades sur des listes de rapatriement. Dernière en date : l’ambassade du Gabon, qui a ouvert les recensements face à la « crise identitaire » de la Tunisie. Un premier vol retour de 50 personnes a été organisé par la Guinée mercredi.

    Dans le même temps, 55 Ivoiriens ont été pris en charge en urgence par leur ambassade, après s’être retrouvés à la rue. Selon un diplomate malien, un vol pour 150 personnes est programmé par Bamako pour samedi.

    Une situation alarmante décriée depuis la France. Ce vendredi, plusieurs dizaines de personnes, Sénégalais, Ivoiriens, Guinéens, Tunisiens, ont manifesté à proximité de l’ambassade de Tunisie a Paris. « Tunisie raciste! Le président raciste! », ont scandé des manifestants, certains brandissant des pancartes « we are all Africans ». « Nos frères sont agressés et menacés en Tunisie, il faut que ça s’arrête », a déclaré à l’AFP Ba Demba, de la Coordination des sans-papiers, une des associations organisatrices.

    Des personnalités politiques concernées par la répression

    En plus des atteintes portées aux migrants d’Afrique subsaharienne, le Front de salut national (FSN), la principale coalition de l’opposition, tente de lutter contre une série d’arrestations de personnalités des milieux politiques, médiatiques et des affaires depuis le début du mois de février.

    Le FSN avait appelé à se rassembler dimanche, manifestation que les autorités tunisiennes ont finalement interdite. Dans un communiqué, le préfet de Tunis, Kamel Feki, a indiqué que la demande « du prétendu Front de salut national (…) n’a pas été approuvée, car certains de ses dirigeants sont soupçonnés de complot contre la sûreté de l’État ». Le FSN a contesté dans un communiqué le droit du préfet de l’interdire et annoncé qu’elle aurait lieu comme prévu, dimanche à partir de 9 heures, dans le centre de Tunis.