Menu
Libération
Conflit

Au Soudan, le drame humanitaire dans l’impasse

Malgré la trêve annoncée, les combats continuent autour de la capitale soudanaise, faisant planer la menace d’une catastrophe dans le pays, alors que les réserves en eau et en nourriture s’amenuisent.
par Vivien Latour
publié le 2 mai 2023 à 20h45

Les corps jonchent toujours les rues de Khartoum, et il n’y a plus personne ou presque pour les récupérer. Malgré les appels au calme, les combats acharnés se poursuivent dans la capitale du Soudan. Les habitants rapportent toujours des coups de feu, le bruit des avions de guerre et des tirs antiaériens. Selon un bilan que l’on suppose largement sous-évalué, plus de 500 personnes sont mortes et dix fois plus ont été blessées depuis que, le 15 avril, les généraux Al-Burhane et Hemetti ont décidé de se mener une guerre totale pour le pouvoir.

Les deux hommes ont convenu d’une trêve de sept jours lors d’un entretien téléphonique mardi soir avec le président sud-soudanais, Salva Kiir. Elle doit commencer ce jeudi. Mais l’espoir qu’elle soit respectée est plus que faible. Aucune des trêves décrétées jusqu’ici ne l’a été. Elles ont seulement permis à «une partie des civils de rejoindre des zones moins sensibles et de se ravitailler avec ce qu’ils trouvaient», rapporte Germain Mwehu, porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) au Soudan.

Le fracas des balles a déplacé au moins 330 000 personnes à l’intérieur du pays, selon les Nations unies et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Ceux qui le peuvent préfèrent fuir le Soudan. L’ONU dénombre déjà 100 000 départs. Ils seraient 30 000 réfugiés au Tchad – qui accueillait déjà avant le conflit plus de 600 000 réfugiés –, plus de 27 000 au Soudan du Sud, et plus de 42 000 en Egypte. Mais le pire est à venir selon l’organisation qui évoque «la possibilité que plus de 800 000 personnes puissent fuir les combats au Soudan pour les pays voisins».

«Beaucoup de gens en danger»

Germain Mwehu, lui, a fui Khartoum il y a une semaine pour Kassala, dans l’Est. Selon le porte-parole du CICR au Soudan, les combats se concentrent désormais autour du quartier général de l’armée à Khartoum ainsi qu’à Omdurman, ville en périphérie de la capitale où se situe «la radiotélévision nationale». Il décrit une situation humanitaire catastrophique. «Nos collègues du Croissant-Rouge soudanais évacuent les cadavres des rues pour les emmener dans les morgues de la ville. Dès que la situation le permettra, on les aidera : on a des sacs mortuaires mais ils sont dans un quartier difficile d’accès à cause des combats.»

Décryptage

Autrefois épargnés par les mille et un problèmes du Soudan, Khartoum est désormais l’épicentre des combats. La capitale, comme toutes les régions touchées par le conflit, manque de tout. Tous les systèmes d’approvisionnements sont coupés depuis le début du conflit, et plus rien n’arrive. «Qui viendrait approvisionner une ville en guerre ?» constate amèrement Germain Mwehu.

Les infrastructures d’eau et d’électricité, dévastées par les combats, ne sont plus entretenues. Les coupures sont générales. «Beaucoup de gens sont en danger. Dans les prochains jours, il y aura très probablement l’émergence de beaucoup de cas de diarrhées et de choléra dans la capitale. Car les gens vont commencer à consommer l’eau du [Nil] si ça continue», détaille le porte-parole.

Le système de santé est lui aussi très durement touché. Les hôpitaux, notamment ceux de la capitale, ne fonctionnent plus. «La prise en charge des blessés de guerre et des autres civils déjà hospitalisés est entravée», s’alarme le porte-parole du CICR. Les pénuries de médicaments et de fournitures sont de plus en plus graves. Même les soignants et les ambulances ne peuvent plus circuler en sécurité, laissant une partie des patients en grand désarroi.

Aide humanitaire entravée

La situation est d’autant plus grave que les organisations humanitaires ont évacué une partie de leur personnel. Le CICR a notamment évacué ses équipes considérées comme «non essentielles». Celles restées sur le terrain se sont réorganisées et déplacées. Comme leur bureau situé dans le quartier d’Al-Amarat, à dix minutes de l’aéroport transformé en no man’s land, devenu trop dangereux. «Une partie du staff international s’est déplacée à Wad Madani, qui est plus au sud de Khartoum, ou à Kassala, raconte Germain Mwehu. Mais notre chef de délégation et son adjoint sont revenus à Khartoum.»

Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR) a quant à lui suspendu une partie de ses activités à Khartoum, au Darfour et au Nord-Kordofan. «On ne peut pas risquer la vie du staff, justifie Eujin Byun, porte-parole de l’organisation. Mais notre hot-line reste ouverte pour ceux qui en ont besoin.» Car certains humanitaires ont payé ce conflit de leur vie. C’est le cas de trois employés du Programme alimentaire mondial de l’ONU (PAM), tués le 16 avril. Après deux semaines de suspension de ses activités au Soudan, l’organisation a finalement décidé de la reprendre face à l’urgence humanitaire. Selon l’ONU, il manque 1,5 milliard de dollars aux organismes d’aide pour faire face à la crise humanitaire aggravée par les combats en cours.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique