Pretty Yende: «Être choisie par Charles III pour chanter pendant son couronnement est un honneur inouï»

Le 6 mai, sa voix résonnera dans l'Abbaye de Westminster, devant un parterre d'invités triés sur le volet et les millions de téléspectateurs qui suivront le couronnement du roi Charles III. Pour Vanity Fair, Pretty Yende revient sur son parcours, depuis les chansons de sa grand-mère en Afrique du Sud jusqu'aux scènes d'opéra les plus prestigieuses, et raconte les coulisses de sa performance pendant le couronnement.
Pretty Yende
Pretty Yende Elena Cherkashyna

Il est des voix qu’on n’oublie pas. De celles qui transcendent, illuminent, irradient et chamboulent. La voix de Pretty Yende est de celles-là. Le roiCharles III ne s’y est pas trompé : il a demandé à la cantatrice de performer le 6 mai, dans l'Abbaye de Westminster, pour le jour historique de son couronnement et de celui de son épouse, la reine Camilla. Quelques jours avant l'événement, Pretty Yende a mis les répétitions sur pause pour confier à Vanity Fair son excitation et raconter l'envers du décor. « J’ai tellement hâte, s’exclame-t-elle, les yeux écarquillés. Je suis arrivée au niveau de préparation où mon esprit et mon coeur sont prêts, alignés, et n’attendent que d’y être. Au début, je dois dire que mon cerveau criait plutôt “Aaaaaah”! » De l’autre côté de l’écran, la chanteuse de 38 ans imite le cri d’une jeune femme surexcitée - et un brin nerveuse face à l’ampleur de la mission. Qu’il est réjouissant de voir une artiste d’aussi haut rang s’enthousiasmer comme une débutante à qui on offrirait sa première scène.

Pretty Yende a grandi loin du faste de la Couronne, dans la municipalité de Piet Retief, en Afrique du Sud. Chez elle, personne n’est musicien de profession : mère institutrice, père entrepreneur. Pourtant, à la maison, tout le monde chante : « Je n’avais même pas conscience d’aimer la musique à cette époque-là, je savais seulement que j'adorais le son des voix de mon oncle, ma tante, ma grand-mère qui chantaient en faisant la vaisselle, se souvient-elle. Ma grand-mère a vraiment planté la graine de la mélodie dans mon coeur. » Son aïeule lui chante des refrains en zoulou, l’une des langues les plus parlées du pays. Elle l’encourage à l'imiter, malgré sa timidité : « J’avais peur quand elle me demandait de chanter devant la paroisse mais je ne voulais pas la décevoir, sourit aujourd’hui sa petite-fille. Alors, j’ai chanté. Et très vite, j'ai remarqué le sourire des gens. Celui qui s’élargit sur le visage du public quand je chante. » Parfois, une vocation tient à un sourire.

D'une publicité télévisée à la Flûte enchantée

La jeune Pretty enchaîne les cours de chant chorale jusqu’à découvrir sa passion en regardant… une pub à la télévision. À l’époque, la compagnie British Airways diffuse un spot publicitaire dont la bande originale est le Duo des fleurs du compositeur français Léo Delibes. Ce duo lyrique a été créé en 1883 à l'Opéra-Comique de Paris, pour la pièce Lakmé. Dès sa première écoute, Pretty Yende est subjuguée. Elle peine à croire qu’un organe vocal humain puisse produire son si magnifique. La voilà lancée à corps perdu dans ce que les initiés appellent le bel canto. Autrement dit, la virtuosité du chant lyrique.

Pretty Yende

Dario Acosta

Depuis dix ans, Pretty Yende s'est hissée au rang des cantatrices les plus prisées de sa génération. En 2010, elle fait ses débuts sur les planches du théâtre de Riga, dans la peau de la très pure Micaëla, promise de Don José dans Carmen. Trois ans plus tard, un remplacement au pied levé la révèle au grand public sur la prestigieuse scène du Metropolitan Opera de New York sous les traits de la Comtesse Adèle du Comte d’Ory de Rossini. Elle n’a plus jamais arrêté. La soprano décroche les meilleures places des plus hauts concours de chant, sort diplômée de l’Académie de la Scala, à Milan, et enchaîne les plus grands rôles. Pretty Yende devient la Pamina de la Flûte enchantée, la Manon de l'opéra éponyme de Jules Massenet, la Rosina du Barbier de Séville, la Juliette de Roméo et Violetta, de la Traviata, célèbre pour ses vocalises aux notes haut perchées. Même pas peur : entre deux shows, elle sort deux albums solos.

Les compliments d'un roi

Que représente un couronnement, quand on a déjà chanté aux quatre coins du monde ? L’envergure de l’événement change la donne, m’explique-t-elle, fleur hawaïenne dans les cheveux grâce à la magie d’un filtre numérique : « Quand je pense aux chiffres, j’imagine que j’ai déjà dû chanter pour des milliards d’âmes depuis le début de mon parcours mais là, ces milliards d’âmes seront réunies au même moment, sur toute la planète ! » Cette perspective donne le tournis. Pretty Yende le sait, le couronnement lui offre une tribune qu’elle n’aurait même pas imaginé dans ses rêves les plus fous : « Ma voix va atteindre des gens qui n’ont peut-être jamais entendu d’opéra de leur vie et qui ne m’ont aucune idée de qui je suis. C’est un honneur inouï en tant qu’artiste. » Pour elle, c’est aussi une continuité et une marque de grande confiance de la part d’un roi qu’elle a déjà rencontré lors qu’il n’était encore qu'un prince.

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L’an dernier, l’orchestre philharmonique de la Royal opera House célébrait ses 75 ans en grande pompe. La soprano a reçu une invitation à participer au concert anniversaire. Un événement en soi : « J’ai su que le concert se tiendrait en présence du roi au moment des répétitions, se souvient-elle. On m’a appris comment m’adresser à lui - Yes sir, Your Majesty-, à faire la révérence aussi. » L'an dernier, le prince Charles est devenu le parrain de l’opéra. Son activité de mécène a permis à Sa Majesté d’embrasser toute sa « passion pour la musique classique et l’opéra », observe Pretty Yende, qui se souvient d’avoir vu dans les yeux du futur souverain une « joie intense » à l’écoute des mélodies d’opéra. La représentation s'est déroulée à merveille et la soirée s'est poursuivie autour d’un dîner. « Il m’a fait de merveilleux compliments, il était d’une extrême gentillesse et d’une grande élégance. Je pense que tout s’est joué à ce moment-là », sourit-elle, avant d’ajouter : « J’ai ouïe dire que, pour le couronnement, il a dit : “Je veux Pretty”! Quel honneur d’être choisie par le roi. »

Chanter pour adoucir les maux de l'histoire

Un honneur que même ses proches ont eu du mal à réaliser. Elle se souvient, amusée, de la réaction de son père : « Le prince ? Quel prince ? » L’(ex) prince Charles d’Angleterre, pardi. Il faut dire que le titre princier prête à confusion en Afrique du Sud, où un roi zoulou a été couronné pas plus tard qu'à l'été dernier. « Mon père m'a toujours parlé des rituels, des traditions autour des souverains et des chefs chez nous, alors il n'en revenait pas que le roi d'Angleterre me demande de venir chanter à son couronnement. » Tous les membres de sa famille n'ont pas été aussi réjouis par la nouvelle. Pour nombre de Sud-africains, la présence de Pretty Yende au couronnement du treizième souverain du Royaume-Uni pose question. Voire, dérange. En cause : le passé colonial de l'empire britannique en Afrique du Sud.

Au XIXème siècle, la Couronne a annexé des territoires au sud du continent, notamment autour de Johannesburg et Le Cap. Pretty Yende sait tout de cette histoire, elle qui a grandi au coeur de l'apartheid. Malgré la polémique, elle n'a pas envisagé une seconde de renoncer à la scène royale qu'on lui propose : « J'aimerais que ma voix suspende le temps et adoucisse les maux un instant, tempère-t-elle d'abord. La scène est l'endroit où je m'épanouis le plus. Si j'écoute les critiques, je n'aurais jamais dû entamer mon parcours dans le milieu de l'opéra. » Un milieu majoritairement blanc, élitiste, au sein duquel l'inclusivité, la diversité et la représentativité sont encore loin d'être exemplaires. Qu'importe, la cantatrice a transcendé les a priori pour en devenir une figure incontournable. « Si j'avais pensé à [ces polémiques], j'aurais renoncé à tous les projets qu'on me proposait, insiste-t-elle. Hors, ça fait bientôt 20 ans que je dis “oui”. » Autour de sa trajectoire, Pretty Yende a fédéré une véritable communauté de fans, avec laquelle elle interagit sur ses réseaux sociaux grâce au hashtag #Prettyjourney. Son compte Instagram est suivi par plus de 61 500 abonnés. Avec eux, elle partage aussi ses coups de gueule, consciente de faire partie des artistes dont la voix porte loin, haut et fort.

L'amour de la France, pour le meilleur et pour le pire

En juin 2021, elle racontait notamment avoir été victime de « brutalité policière » lors d'une arrestation à l'aéroport, alors qu'elle revenait de Milan. Dans un long message posté sur Instagram, elle décrivait ce qui ressemble à un contrôle au faciès, sur fond de racisme et d'humiliations. Une version des faits contestée par la police, qui affirme qu'elle n'était pas en possession d'un visa au moment de son interpellation, raison pour laquelle les autorités auraient procédé à des « vérifications d'usage ». Fort heureusement, cet épisode n'a pas entaché son histoire d'amour avec la France, dont la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, l'a distinguée officier des Arts et des Lettres en 2022.

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Elle s'est produite au théâtre des Champs-Elysées, au concert de Paris pour le 14 juillet 2021 et à l'Opéra Bastille, qu'elle retrouvera dès le mois de juin, à l'affiche du Roméo et Juliette mis en scène par Thomas Jolly, sur une partition de Charles Gounod. « J'ai tellement hâte de chanter en français, en France, dit celle qui jouera Juliette en alternance avec Elsa Dreisig. J'aime tellement votre langue. » En 2016, elle a réussi un challenge laborieux : interpréter Lucia di Lammermoor après Natalie Dessay, qui avait campé le rôle-titre de l'opéra de Donizetti dix ans avant elle : « J'avais tellement peur de passer après cette interprète fabuleuse et finalement, le public français -que je sais difficile à satisfaire- m'a offert une standing ovation ! »

Avant de retrouver les spectateurs, la chanteuse s'apprête à livrer la prestation la plus marquante de sa carrière. Le dernier couronnement royal, celui de la reine Elizabeth II en juin 1953, avait rassemblé 277 millions de téléspectateurs. Samedi, ils seront plus nombreux encore à entendre sa voix résonner dans l'Abbaye de Westminster, alors que s'ouvrira un nouveau chapitre de l'histoire du Royaume-Uni. La voie royale.