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Climat : les efforts mondiaux pour décarboner sont encore trop lents et insuffisants

Ce mercredi, un rapport du «Systems Change Lab» évalue les efforts dans tous les domaines pour s’aligner sur la trajectoire d’un réchauffement limité à 1,5°C. Malgré quelques bonnes surprises, comme la progression des voitures électriques, la majorité des transformations traînent.
par Margaux Lacroux
publié le 15 novembre 2023 à 15h03

Où en sont les efforts mondiaux pour décarboner l’électricité, construire des bâtiments moins gourmands en énergie, réduire les subventions aux énergies fossiles, le nombre de trajets en voiture, la consommation de viande ou encore la déforestation ? Les trajectoires observées sont-elles conformes à l’objectif de limiter le changement climatique à 1,5°C ? C’est à ces questions que répond le rapport «State of Climate Action 2023» («Avancée de l’action climatique 2023») publié mardi 15 novembre. Ses auteurs, qui ont examiné à la loupe, secteur par secteur (énergie, industrie, transports, forêts, agriculture…), les mutations en cours à échelle globale pour faire chuter les émissions de gaz à effet de serre, constatent une fois de plus un retard abyssal.

«Les transformations ne se produisent pas au rythme et à l’échelle requise», tranchent-ils. Ce document est rédigé par le «Systems Change Lab», fruit d’une collaboration entre le fonds «Bezos Earth Fund», Climate Action Tracker, la fondation ClimateWorks, les Champions de haut-niveau des Nations unies sur le changement climatique ainsi que le centre de réflexion World Resources Institute.

Un seul objectif en passe d’être atteint

Pour rendre compte de la situation, un tableau de bord a été établi, à l’aide de 42 indicateurs de transition qui nous permettraient de maintenir une température confortable sur Terre. Chaque mesure est accompagnée d’un graphique pour visualiser la progression : une courbe dessine le passé, indique où nous en sommes aujourd’hui, quelle trajectoire il faudrait suivre jusqu’en 2030, et sur quel chemin nous sommes en réalité engagés. Résultat : seul un indicateur est dans les clous. Il s’agit des véhicules électriques, en bonne voie pour représenter 75 % à 95 % des automobiles vendues sur le marché mondial d’ici 2030. Une micro-avancée par rapport à l’an dernier, où aucun des indicateurs n’était en passe d’atteindre les cibles fixées pour 2030.

Par ailleurs, près des trois quarts des indicateurs évoluent dans la bonne direction mais doivent accélérer le rythme. Par exemple, la reforestation doit aller 1,5 fois plus vite. D’autres sont encore plus loin du compte. Les efforts vers la fin du charbon sont sept fois trop timides : il faudrait fermer environ 240 centrales à charbon de taille moyenne chaque année. La baisse de la consommation individuelle de viande de vache, de chèvre et de mouton ou l’augmentation des financements dédiés au climat doivent aller huit fois plus vite d’ici 2030. La cadence mériterait même d’être multipliée par dix pour la restauration des mangroves, le développement des pistes cyclables ou encore la réduction du gaz dans la production d’électricité. Concernant les énergies de transition que sont l’hydrogène vert pour l’industrie et les carburants dits «durables» pour l’aviation, les capacités de production commencent à émerger mais restent embryonnaires par rapport aux besoins estimés pour 2030.

«Un changement transformateur est possible»

Enfin, six indicateurs vont «dans la mauvaise direction». Par exemple, la courbe de la perte des mangroves augmente encore alors que celle-ci devrait baisser. Idem pour la réduction de la place des voitures dans les transports, l’augmentation de la vente de bus électriques ou encore les pertes alimentaires. Dernier point noir, et de taille : au lieu de chuter, «le financement public des combustibles fossiles a fortement augmenté en 2021 [pour atteindre 1 100 milliards de dollars, ndlr], les subventions gouvernementales en particulier ayant presque doublé par rapport à 2020 pour atteindre les niveaux les plus élevés observés depuis près d’une décennie», regrettent les auteurs du rapport. Un contresens «inquiétant» à leurs yeux. Car l’humanité doit sortir au plus vite des énergies fossiles comme le gaz, le pétrole et le charbon, responsables 80 % des gaz à effet de serre. Les investissements publics sont donc censés atteindre «zéro» en 2030 dans ce domaine. Le texte rappelle que, selon l’Agence internationale de l’énergie, au-delà des projets déjà engagés en 2021, aucun investissement dans de nouveaux sites pétroliers ou gaziers n’est nécessaire pour répondre aux besoins énergétiques mondiaux. Las, selon le rapport de plusieurs ONG intitulé «Global Oil and Gas Exit List», publié ce mercredi, les investissements du secteur pour l’exploration de nouvelles réserves de pétrole et de gaz ont encore «augmenté de plus de 30 %» depuis 2021.

Mais le tableau n’est pas totalement noir. Au cours des douze derniers mois, les énergies renouvelables, pompes à chaleur et véhicules électrique ont connu une croissance «spectaculaire» et exponentielle «qui surprend même les optimistes», tient à souligner cette étude. «Aujourd’hui, le photovoltaïque solaire et l’éolien terrestre sont les options les moins chères pour la production d’électricité dans la grande majorité des pays» et leur capacité devrait encore augmenter d’un tiers cette année, du jamais-vu. Un autre point positif concerne l’Amazonie : «Les données satellitaires préliminaires de l’agence spatiale nationale du Brésil indiquent que la déforestation a chuté de plus de 30 % pendant les six premiers mois du mandat du président Lula.» «Si nous pouvons reproduire ces progrès dans d’autres domaines, cela montre qu’un changement transformateur est possible», commente la présidente et directrice générale de la fondation ClimateWorks, Helen Mountford. Malgré «notre échec collectif à lutter contre le changement climatique jusqu’à présent», les auteurs soulignent donc qu’«il n’est pas trop tard».

«La fenêtre pour atteindre nos objectifs climatiques se referme rapidement»

A quelques semaines de la COP28 à Dubaï, le sommet annuel sur le climat qui doit se tenir aux Emirats Arabes Unis, ce travail vient rappeler que nous sommes à un moment charnière : «La fenêtre pour atteindre nos objectifs climatiques se referme rapidement, mais nous avons appris que bon nombre des solutions dont nous avons besoin peuvent aller encore plus rapidement que nous ne l’avions imaginé.» Razan Al Mubarak, champion de haut-niveau des Nations Unies sur le changement climatique pour la présidence de la COP28, ajoute que «ce moment devrait servir de tremplin pour des actions accélérées.»

Mardi, l’ONU a aussi pointé les «progrès insuffisants» : les engagements actuels des pays mènent à 2 % de baisse des émissions entre 2019 et 2030, au lieu des 43 % préconisés pour limiter le réchauffement à 1,5°C. Son rapport conclut que l’humanité continue le «hors-piste». Le secrétaire exécutif de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, Simon Stiell, exhorte les gouvernements à passer des «petits pas» aux «pas de géants lors de la COP28».

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